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12/11/2010

Droit braconnier

Le braconnier a rarement bonne image. Il faut dire que le chasseur d'ivoire qui décime les éléphants, le traqueur de fourrures rares, le marchand d'espèces protégées ne sont guère plus fréquentables que recommandables. Foin du braconnage organisé donc. Mais il est d'autres types de braconniers. Historiquement, le braconnier  chasse illégalement sur les terres du seigneur. Il est donc celui qui n'accepte pas l'ordre établi. Rappelons que le privilège de chasse fut aboli le 4 août 1789 avant d'être rétabli en 1844. Le braconnier chasse sans titre et à ce titre il connaît la forêt, la nature, les espèces, les animaux, mieux que personne. Mais surtout, il s'écarte des chemins forestiers, des routes de campagne, il défriche de nouveaux espaces, ouvre de nouvelles voies, emprunte des passages détournés dans lesquels nul n'ose s'aventurer et créé une nouvelle géométrie des forêts qui ne sont pas sa propriété mais qui constituent son domaine et son terrain de jeu. Comme le rêve est une fenêtre ouverte sur l'inconscient, le braconnage est un rêve à l'invisible réalité.

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Marie-Laure Messir - Bulle nocturne

Mais si le braconnier est celui qui s'affranchit des règles, que peut signifier l'oxymore droit braconnnier ? tout simplement que l'innovation, en droit comme en d'autres domaines, peut passer par la transgression et qu'il est parfois nécessaire d'aller aux limites de la règle pour la faire évoluer. Qui ne s'autorise à sortir des allées forestières ne connaîtra jamais la forêt. Qui s'applique à appliquer le droit en devient au mieux le serviteur, au pire l'esclave. Penser la règle, c'est souvent penser contre la règle, c'est à dire confronter le droit aux autres sources de décision, de pouvoir, de régulation, de légitimité. La règle de droit réduite à elle même, c'est le chemin des promeneurs du dimanche qui tiennent leur chien en laisse et considèrent avec méfiance tout champignon. Le braconnier c'est celui qui s'autorise à entrer dans le bois, à vivre avec les arbres et tous les habitants de la forêt et à apprendre à connaître animaux et champignons plutôt que de s'en défier. Bref, une autre manière d'exprimer le très juste "Que juriste, pas juriste". Mais à quoi reconnaîtra-t-on les bons braconniers et ceux qui ne sont toujours pas fréquentables ? car si chacun s'institue braconnier n'est-ce pas la fin de l'Etat de droit ? proposons quelques critères : le braconnier fréquentable ne nie pas la loi, il la connaît très bien, il ne la conteste pas globalement mais seulement en certains de ses effets, il est soucieux des conséquences de ses actes, et il agit artisanalement. Et peut être un dernier critère : le braconnier indéfendable est celui qui méprise ou menace le garde-chasse, le  plus fréquentable braconnier n'est pas l'ennemi du garde-chasse, car il sait ce qu'il a en commun avec lui. Car on peut à la fois aimer le garde-chasse et le braconnage, n'est-ce pas Constance ?

09/11/2010

Au Loup !

L'affaire Baby Loup revient à la une des medias avec, hier, l'audience devant le Conseil des Prud'hommes de Mantes-La-Jolie. Rappelons l'affaire : au retour d'un congé parental, une salariée d'une crèche se présente voilée. La directrice lui rappelle le principe de neutralité religieuse inscrit dans le règlement intérieur et lui demande de travailler sans voile. La salariée refuse, elle est licenciée. La Halde est saisie, les prud'hommes également et l'affaire s'emballe. Et cet emballement, comme souvent, nous plonge dans l'idéologie et nous éloigne du droit. S'indignent à l'unission des tenants de la laïcité, des féministes, des xénophobes qui n'acceptent les voiles que pour les femmes dans les Eglises ou devant le Pape, des racistes de tout poil, etc. Curieux assemblage a priori, mais devant la confusion des arguments il ne faut pas s'étonner de la confusion des genres. Et la nouvelle présidente de la Halde, loin de remettre de la rationnalité dans le débat, ce qui est après tout sa fonction,  d'encourager le délire argumentaire en invoquant pour justifier son avis sa propre histoire personnelle. A force de crier au loup, on finit par ne plus s'entendre et par ne plus rien y  comprendre.

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Annabelle Guetatra - Sans titre - 2009

Mais revenons au droit. Que disait l'avis si critiqué de la Halde qui considérait le licenciement illégitime ? trois choses. La première est qu'une entreprise privée n'est soumise à aucune principe de neutralité religieuse. La deuxième est que tout salarié jouit d'une liberté religieuse à condition de ne pas faire de prosélytisme et de ne pas se soustraire à ses obligations contractuelles pour des raisons religieuses. Depuis longtemps, il est admis que le seul port d'un insigne ou vêtement religieux n'est pas en soi du prosélytisme. Et la troisième que tout employeur a la possibilité d'apporter des restrictions aux libertés individuelles pour des raisons objectives et par des décisions proportionnelles. En l'occurence, la crèche Baby Loup n'avait pas à faire figurer la neutralité religieuse dans son règlement intérieur ni à licencier au motif du non respect de cette neutralité que seule la loi pourrait consacrer. Elle devait règler la seule question qui vaille : le port du voile est-il incompatible avec la fonction de directrice adjointe d'une crèche compte tenu de la nature des fonctions correspondantes ? des questions de cette nature, les tribunaux en ont déjà tranché plusieurs : l'opératrice sur un plateau téléphonique ne peut être licenciée pour cause de port du voile, mais la salariée qui s'occupe d'enfants autistes et refuse de se déshabiller pour les surveiller pendant la baignade si. Ce que nous dit le droit, c'est que le problème ne doit pas être posé en terme de religion. Raté. Et le pire est encore peut être à venir quand on entend la présidente de la Halde dire qu'il y a un vide juridique, ce qui n'existe pas, et Manuel Valls proposer une loi pour interdire le voile dans les crèches. A mal poser les questions, il ne faut pas s'étonner que l'on donne de mauvaises réponses et qu'au final on aboutisse à exactement l'inverse que l'objectif recherché.

Pour qui préfère savoir de quoi il est question avant de s'indigner, l'avis de la Halde sur ce sujet :

AvisHalde-ReligionetTravail.pdf

Et un exemple de courrier adressé à un employeur sur une affaire similaire :

Halde-neutralitédansl'entreprise.pdf

21/10/2010

Rupture conventionnelle, pas de bluff !

La rupture conventionnelle du contrat de travail connaît un succès croissant depuis sa création en juin 2008. Nous serions désormais sur une base de 150 000 ruptures conventionnelles par an. Contrairement aux affirmations, pas toujours désintéressées, de certains avocats, la rupture conventionnelle constitue bien la modalité de rupture du contrat de travail qui offre la plus grande sécurité juridique c'est-à-dire qui prête le moins le flanc à la contestation. C'est donc elle qu'il faut privilégier si l'on préfère un bon accord à un mauvais procès. Encore faut-il réunir deux conditions pour la sécuriser : traiter l'intégralité des droits du salarié et l'informer complètement sur sa situation post-rupture.

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MarieJnn - Rupture

Pour les droits du salarié, on prendra soin de passer en revue tous les droits en cours ou à venir et de déterminer leur mode de règlement : salaires dus, jours de RTT, jours de congés payés, utilisation ou non du DIF avant la rupture, commissions à venir, primes venant à échéance après la rupture (proratisation ou non), versements ultérieurs le cas échéant de l'intéressement et de la participation, clause de non concurrence, dispense ou pas de travail avant la fin du contrat, etc. Pour ce faire, il sera nécessaire d'établir un contrat listant tout ces points et de ne pas se contenter du formulaire de l'administration qui sert à l'enregistrement mais pas à fixer toutes les conditions de la rupture.

Pour l'information complète du salarié, il est nécessaire de l'informer sur ses droits dans le cadre de la rupture : traitement fiscal et social des sommes versées à l'occasion de la rupture, délai de carence pour l'assurance-chômage, montant des indemnités d'assurance-chômage, impact de la rupture sur d'autres droits du salarié (notamment en matière d'assurance sur les crédits immobiliers : selon que le contrat vise une indemnisation par l'assurance chômage ou une perte d 'emploi due à un licenciement, la garantie pourra jouer ou non).

Dès lors que toutes ces conditions sont respectées, et que l'on conduit donc une négociation globale et loyale, la rupture conventionnelle constituera bien le mode de rupture du contrat de travail le plus sécurisé...quant à la rupture. Car rien n'exclut qu'un salarié saisisse les prud'hommes pour demander le paiement d'heures supplémentaires ou la réparation d'un préjudice moral du fait d'un harcèlement. Mais un contrat qui interdirait au salarié tout recours concernant l'exécution et la rupture du contrat de travail, cela n'existe pas, et lorsque cela existe, c'est du bluff.

15/10/2010

Quand la CGC voit double

Le Conseil Constitutionnel a tranché le 7 octobre dernier : les dispositions du Code du travail adoptées spécialement pour la CGC ne sont pas inconstitutionnelles. De quoi s'agit-il ? depuis la loi du 20 août 2008, les organisations syndicales ne sont représentatives dans l'entreprise que si elles obtiennent au moins 10 % des suffrages exprimés lors du premier tour des élections du comité d'entreprise. Cette réforme, qui a pour objectif de légitimer les syndicats par le vote et d'assurer ainsi leur capacité à conclure des accords engageant les salariés, a été contestée par les syndicats "minoritaires" qui voient leur représentativité menacée. Normalement, les 10 % s'apprécient au niveau de l'entreprise. Sauf pour la CGC, d'où le recours, qui du fait de sa nature catégorielle, voit sa représentativité appréciée uniquement dans le ou les collèges (deuxième et/ou troisième) dans lesquels elle peut présenter des candidats. Dérogation inacceptable pour FO qui est à l'origine du recours. Pour le Conseil constitutionnel, la disposition ne fait pas problème et ne créé pas une inégalité car elle concerne un syndicat catégoriel et ne mesure une représentativité qui ne vaut que pour les salariés appartenant aux collèges concernés. Cette précision n'exclut toutefois pas que le calcul de représentativité pour la CGC soit double.

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B.M.C - Taureau mort et son double

En effet, la CGC peut demander un calcul de représentativité uniquement dans le collège cadre ou bien dans le collège cadre et le collège techniciens agents de maîtrise, qui sont les collèges dans lesquels elle peut statutairement présenter des candidats. Dans ce cas, si elle atteint 10 % elle est représentative mais uniquement pour les salariés appartenant à ce ou ces collèges. Elle ne peut donc pas conclure d'accord couvrant tous les salariés de l'entreprise. Par contre, si elle obtient, serait-ce à partir des résultats dans un seul collège, plus de 10 % au niveau de l'entreprise, malgré son caractère catégoriel elle peut prétendre représenter l'ensemble des salariés puisque la loi ne fixe aucun minima par collège dans ce cas. Avantage du syndicat catégoriel qui peut jouer soit uniquement sur sa catégorie, soit au niveau de toute l'entreprise si son poids catégoriel est suffisant. Seule restriction : la CGC ne peut présenter de candidats dans le premier collège sans perdre cet avantage de la double représentativité. En effet, si elle présente des candidats dans tous les collèges, elle n'est plus par définition une organisation catégorielle.

Et voilà comment une organisation à qui certains promettaient disparition avec la réforme de 2008 se trouve au contraire dans une situation plus confortable que d'autres organisations, notamment celle qui lui contestait ce droit à une double représentativité. Dans l'arène de la représentativité, tous les taureaux ne sont donc pas égaux. Reste à souhaiter de belles corridas !

13/10/2010

Pas de motif, un seul motif

Le droit du travail oblige parfois l'employeur à motiver ses décisions, notamment en matière disciplinaire ou de licenciement. Mais ce principe n'est pas général et certaines décisions, qui pourtant font grief au salarié ce qui justifierait, sur le principe, qu'il puisse en connaître les raisons, n'ont pas à être motivées. Pourquoi cette différence ? avançons une explication sans avoir vérifié si elle ne comportait pas de contre-exemple. Deux lois relativement récentes ne font pas obligation à l'employeur de motiver sa décision qui doit pourtant être écrite. Elles nous permettent peut être de comprendre pourquoi certaines décisions n'ont pas à être motivées : parce qu'il n'existe qu'un seul motif possible. L'unicité du motif est un thème cher à Jean-Pierre Balagué, peintre toulousain.

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Jean-Pierre Balagué - Sans titre - 2004

La loi du 25 juin 2008 a réformé le droit de la période d'essai en prévoyant une rupture possible par l'employeur sous la seule condition de respect d'un préavis mais sans motivation. Pourquoi ? parce que le seul motif possible de la rupture d'une période d'essai est une évaluation négative des compétences du salarié dans son travail, ce qui est l'objet même de la période d'essai (C. trav., art. L. 1221-20). Si le salarié prouve que d'autres motifs sont à l'origine de la rupture (motif économique notamment ou motif non inhérent à l'appréciation de ses capacités), la rupture sera considérée comme abusive. Un peu antérieure, la loi du 4 mai 2004 a introduit dans le code du travail le droit individuel à la formation (DIF) conçu par les partenaires sociaux. Ce droit nécessite un accord entre l'employeur et le salarié pour pouvoir être mis en oeuvre. Si l'employeur refuse une demande de DIF il n'a pas, légalement, à motiver ce refus. Pourquoi ? parce que le seul motif de refus possible est un désaccord sur la formation choisie par le salarié. Il n'est en effet pas question pour l'employeur de nier le DIF mais simplement d'en négocier la mise en oeuvre. Dès lors, en cas de refus, inutile pour le salarié de s'entêter à représenter des demandes similaires. Mieux vaut inverser la proposition et demander à l'employeur quelles sont les formations pour lesquelles il est prêt à accepter une demande de DIF. Ce qui renverra l'entreprise à l'obligation de décider d'une politique de DIF qu'elle doit présenter tous les ans au comité d'entreprise. Certaines conventions collectives imposant la motivation, les entreprises ont tout intérêt à s'en tenir au motif légal. En effet, un refus fondé sur une absence de budget ou un refus de financement de l'OPCA pourrait être criticable car étranger au seul motif légalement prévu. Et l'on constate qu'absence de motivation ne signifie donc pas totale et discrétionnaire liberté de décision.

01/10/2010

Au plaisir du juge

Faisait-il soleil ce jour-là à Douai de telle sorte que les juges furent troublés par le rayon qui éblouissait le tribunal et altéra leurs facultés ? était-ce une vacance avant l'heure ? le repas avait-il été trop lourd ? ou bien l'ennui d'une audience judiciaire avait-il gagné les magistrats qui n'écoutèrent qu'inattentivement les plaignants ? toujours est-il que la décision avait de quoi surprendre. Une salarié licenciée demandait à bénéficier de son droit à DIF pour suivre une formation de 3 930 euros. L'entreprise ne donne pas suite à sa demande car le montant de l'allocation formation à laquelle elle a droit, et qui avant la loi du 24 novembre 2009 marquait la limite de l'obligation de l'employeur en cas de licenciement, ne représente que 950 euros. La Cour d'appel de Douai condamne pourtant l'entreprise. La Cour de cassation invalide ce jugement : en cas de licenciement, l'entreprise n'a l'obligation de payer que dans la limite prévue par la loi. La réponse était pourtant évidente.

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Magritte - L'évidence éternelle - 1930

Plusieurs remarques toutefois :

- si la loi limite l'engagement de l'entreprise en cas de licenciement, c'est parce qu'il s'agit d'un cas dans lequel le DIF est de droit. Mais comme il n'est pas question de reconnaître un droit de créance illimité au salarié, l'engagement est plafonné ;

- la loi du 24 novembre 2009 a fixé le plafond non plus à hauteur de l'allocation formation mais forfaitairement à 9,15 euros. En l'occurence, cela aurait réduit le droit de la salarié de 950 euros à 713 euros. Preuve que la salariée avait un salaire important puisque pour atteindre 9,15 euros sous forme d'allocation formation, le salarié doit avoir un salaire supérieur à 2700 euros nets ;

- il peut arriver aux juges de commettre des erreurs grossières. Particulièrement en matière de formation pour la simple raison que les contentieux sont rares. De ce fait, les juges sont peu professionnalisés sur ces questions et prennent parfois des décisions surprenantes. D'où la nécessité de ne pas surinterpréter trop rapidement toute jurisprudence en la matière mais de laisser le temps faire son oeuvre. Si la Cour de cassation a créé des chambres spécialisées (licenciement économique, durée du travail, etc.), aucune ne traite de formation professionnelle et le contentieux est éclaté en différentes chambres selon le contexte de l'affaire. Voilà qui ne favorise pas la construction d'une doctrine, mais après tout le DIF en tant que dispositif relevant à titre principal de la négociation n'a pas à attendre du juge que ce dernier en fixe le mode d'emploi. Si tel devait être le cas d'ailleurs, nous ne serions sans doute pas au bout de nos surprises.

10/09/2010

Femmes autonomes

Certes, la possibilité pour une femme de conclure un contrat de travail sans l'autorisation de son mari n'a été supprimée qu'en 1965. Certes notre culture est toute imprégnée de patriarcat. Certes encore la mixité demeure un combat et l'égalité un horizon lointain et incertain. Mais tout de même ! l'affaire que la Cour de cassation a eu à juger au mois de juin dernier laisse perplexe. (Cass. soc., 30 juin 2010, n° 08-41.936). Deux époux travaillent dans une même société. La femme, occupant un poste de Direction, s'adresse en des termes injurieux à son employeur. Le mari, informaticien, assiste à l'épisode. La femme est licenciée pour injure, classique. Mais le mari est licencié également au motif qu'il  n'est pas intervenu et n'a pas empêché son épouse de tenir les propos injurieux. Pour cet employeur, le lien de subordination est sans doute le mode de relation normal, y compris dans la sphère privée, et la subordination synonyme de soumission.

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Et voilà les tribunaux tenus de rappeler que les femmes sont autonomes. La Cour d'appel a  donc jugé que le licenciement du mari est nul car fondé sur une discrimination en raison de la situation de famille. La Cour de cassation valide ce jugement. Parions que l'employeur s'est enquis de la composition de la Cour pour savoir s'il n'a pas été jugé par des femmes. Long est le chemin...

02/09/2010

Que juriste, pas juriste

La formule est de Michel Despax, elle m'a été rappelée par Jean-Emmanuel Ray. Il n'est pas exclu que le mot juriste puisse être remplacé par d'autres qualités ou fonctions et que la formule fonctionne tout autant.

 

 

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Merci à Zéro pour le dessin emprunté à la Tribune du P'titjuriste

 

01/09/2010

Justice de Toulouse

Mais quelle mouche a donc piqué la Cour d'appel de Toulouse ? que l'on en juge : un particulier embauche un jardinier et promet d'embaucher sa femme pour s'occuper de ses enfants à compter d'une date déterminée par les parties, ainsi que les conditions d'emploi (durée du travail, salaire). Un litige survient ensuite et la salariée n'exécute pas le contrat. Elle démissionne aux torts de l'employeur et demande des dommages intérêts. La Cour d'appel de Toulouse déboute la demanderesse au motif qu'il n'y a pas de contrat de travail en l'absence de contrat écrit et de début d'exécution de la prestation. Ils ne voient dans l'affaire que la rupture d'une promesse d'embauche. Faut-il que les juges viennent du nord de la Loire pour oublier que si la parole est facile dans le Sud, elle n'est pas sans valeur et engage celui qui la donne. Ici, dire c'est faire, comme dirait La Bible (mais si : au commencement était le verbe). Heureusement, il est des toulousains qui sont montés à Paris, comme le dossier envoyé à la Cour de cassation.

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Clémence Isaure au Jardin du Luxembourg

Nous n'avons pas vérifié si la conseillère toulousaine siégeait ce jour-là à la Cour, mais ce ne serait que justice. La Cour de cassation donc, sensible à l'honneur sudiste, affirme que l'engagement, dont la preuve est rapportée, constitue bien un contrat même en l'absence d'écrit et de début d'exécution de la prestation (Cass. soc., 12 juillet 2010). Il en résulte une prise d'acte justifiée par le comportement de l'employeur et des dommages et intérêts à percevoir par la salariée qui peut revendiquer cette qualité bien qu'elle n'ait pas travaillé. Car la toulousaine ne se trompait pas en prétendant que ce n'est pas le travail qui définit le salarié.

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Clémence Isaure au Jardin du Luxembourg

19/08/2010

Rentrée catégorielle

Eric Woerth est sans doute un des rares français à souhaiter que les vacances se terminent rapidement et avec elles leur lot de révélations, plus ou moins pertinentes, sur les passe-droits, services réciproques ou autres intérêts bien compris qui ne font jamais que témoigner d'une endogamie toujours plus grande chez nos dirigeants : chez ceux-là, point besoin de Facebook si ce n'est pour montrer au bon peuple que l'on partage ses petites manies, car on a compris depuis longtemps que les réseaux sociaux étaient les meilleurs des parachutes dorés et l'on sait les cultiver. Woerth donc est pressé de retrouver ses habituelles habitudes : réforme des retraites pour sauver le pays et ses habitants, clivage droite-gauche et duels à la langue de bois jusqu'à la première insulte, polémique savamment préparée et entretenue, bref enfin la routine. Pourtant, Eric Woerth devrait se méfier car la rentrée risque d'être chaude : les prêtres et les nonnes sont en colère.

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Clovis Trouille - Le baiser du confesseur - 1947
Plus de 70 religieux ont déposé au début de l'été des recours contre leur caisse de retraite pour que soient prises en compte dans le calcul de leur pension leurs années de formation et d'études. Le noviciat n'entre pas, en effet, dans les périodes cotisées par l'Eglise. Que fait-on pendant le noviciat ? il faudrait demander à Casanova ou Stendhal mais Clovis Trouille fournit déjà une réponse. Ceci dit, les étudiants ne font pas mieux et ils peuvent racheter leurs années d'études. Alors Mr Woerth, vous qui allez bientôt crouler sous les revendications catégorielles, pensez aux prêtres et nonnes que vous ne pouvez soupçonner de vénalité et rétablissez l'équilibre entre tous les citoyens. Une fois ceci fait, comme dirait Jacques Brel, au suivant...

05/07/2010

De l'art de la démission

Le communiqué est sobre, lapidaire : "Les secrétaires d'Etat Alain Joyandet et Christian Blanc ont présenté leur démission du Gouvernement. Le Président de la République et le Premier Ministre ont accepté ces démissions." Il suscite toutefois une double surprise. Non pas celle du départ des secrétaires d'Etat qui, comme d'autres, ont cédé aux facilités du pouvoir. La surprise tient dans les termes du communiqué. Pour tout juriste, ou tout simplement pour qui est soucieux du sens des mots, une démission est un acte unilatéral. Elle ne se présente pas, elle se donne. Et par conséquent, elle n'a pas plus à être accepté que refusée. On en prend acte. Nul ne peut empêcher celui qui veut véritablement démissionner de le faire. Comme le disait Jacques Rigaut, poète dadaiste suicidé en 1929 : "Essayez, si vous le pouvez, d'arrêter un homme qui voyage avec son suicide à la boutonnière". Ainsi, la liberté de démissionner n'est et ne peut être limitée par l'acceptation de l'autre partie car elle deviendrait contractuelle et ne serait plus une démission.

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Mathilde Tixier - Jacques Rigaut
En tant qu'acte unilatéral, la démission est valide dès lors qu'elle a été signifiée et ne peut être reprise. On ne revient pas sur une démission, sauf à conclure un nouvel accord. Ainsi, l'employeur ne peut refuser une démission ni le salarié se rétracter. Et l'on conseille à l'entreprise qui reçoit une démission de ne pas se précipiter pour en accuser réception. Outre que cet accusé n'ajoute rien à l'acte, une réponse hâtive pourrait laisser suggérer que la démission ne résulte pas d'une volonté unilatérale mais a été suscitée par l'employeur. De ce point de vue, le communiqué de l'Elysée a le mérite d'être explicite. Jacques Rigaut aussi aimait bien jouer avec des petits personnages.
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Jacques Rigaut - Photo Man Ray

30/06/2010

Le juge et la formation

Kouzen o
Siw pa metem lekòl
Ma fè jandam aretew

Ce chant Vaudou Haïtien signifie à peu près ceci : Kouzen (dieu de l'agriculture) si la culture du sol t'empêches de me  mettre à l'école, je te ferai traduire en justice. Ce chant, de tradition orale, est rapporté par Claude Dauphin. L'illettrisme ne fait donc pas obstacle à la conscience du droit à l'éducation pour tous et de la possibilité de recourir au juge pour le faire reconnaître.

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Frantz Zephirin - Tambour Rada
On ignore si les juges se livrent, dans le secret des alcoves de délibéré, à des cultes vaudou. Mais si l'on doutait qu'ils ont eux aussi conscience que la formation pour tous est un droit qui ne saurait être mis en échec par l'illettrisme,  la décision de la Cour de cassation du 2 mars 2010 pourrait nous rassurer. Pour mieux apprécier la portée de cet arrêt, la Chronique réalisée avec Jean-Marie Luttringer pour l'AEF met en perspective 25 ans de jurisprudence en matière de formation professionnelle et de contrat de travail, ou comment le juge après s'être occupé de la formation de ceux qui ont une carrière commence à s'intéresser à la formation de ceux qui n'en ont pas.

22/06/2010

Faire acte de silence

Les heures supplémentaires toujours. L'entreprise avait pourtant pris les devants et explicitement indiqué qu'il ne saurait y avoir d'heures supplémentaires effectuées, sauf autorisation préalable de l'entreprise. Ce qui est son droit le plus strict. Mais voilà, un salarié rend des fiches de pointage nombreuses dans lesquelles apparaissent des heures supplémentaires. Et se prévaut du silence de l'employeur qui avait pris connaissance de ces fiches pour demander des heures supplémentaires. Bingo ! la Cour de Cassation (Cass. soc., 2 juin 2010, 08-40.628) fait droit au salarié et considère que le silence de l'entreprise vaut accord tacite.

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Noureddine EL HANI - Au fil du silence
Est ainsi franchie l'étape que l'on pressentait et que les juges avaient déjà franchi en matière de santé au travail : tout ce que l'employeur tolère, il est censé l'avoir demandé. Ainsi, il n'est pas suffisant de rappeler régulièrement aux salariés que le port de protections individuelles est une obligation. Faute d'imposer un tel port, c'est l'entreprise qui est responsable en cas d'accident. La Cour de cassation intime à l'employeur l'obligation d'exercer son pouvoir d'employeur. Et rappelle au passage que c'est moins la formalisation qui compte que la réalité. Dans ce domaine, il est bon de se souvenir que le silence peut être un acte.

11/06/2010

Donner congé pendant un congé

Un salarié peut-il être licencié pendant un congé ? La réponse de principe est positive. Les congés ne constituent pas des périodes de protection et il est vain de tenter de se mettre à l'écart de l'entreprise lorsqu'elle tangue et que des salariés passent par dessus bord. Bien évidemment, tous les congés étant des droits, le motif du licenciement ne pourra pas être l'exercice du congé lui-même. Mais il pourra s'agir d'un licenciement pour faute, découverte à l'occasion de l'absence le plus souvent, ou d'un licenciement économique qui loge le salarié en congé à la même enseigne que ses collègues. Le droit du travail ne connaît que deux exceptions : le congé maternité et le congé pour accident du travail ou maladie professionnelle pendant lesquels tout licenciement est impossible. Question d'Aurélie aujourd'hui : "Et le congé paternité ?" Ah oui tiens, je ne m'étais jamais posé la question, et le congé paternité ? pris aujourd'hui par 75 % des pères, il a une durée de 11 à 18 jours (naissances multiples) et doit être pris dans les quatre mois suivant la naissance de l'enfant. Le père est-il, comme la mère protégé ? Peut-il prendre sereinement le temps, comme Odilon Redon, si c'est un garçon, ou Picasso, si c'est une fille, de peindre son enfant ?

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Odilon Redon - Arï au col marin
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Picasso - Maya à la poupée

Après vérification, le Code du travail ne prévoit aucune protection particulière pour le père pendant le congé paternité. Pourquoi ? sans doute parce qu'il est de courte durée et n'a pas vraiment d'effet sur la situation du salarié. Plus fondamentalement parce que si le congé maternité fait l'objet d'une protection c'est pour sécuriser totalement la période de naissance de l'enfant. Les progrès de la science étant ce qu'ils sont, les pères n'accouchent toujours pas et la protection ne se justifie pas. Les situations n'étant pas égales, il est compréhensible que les droits ne le soient pas non plus. Que cela n'empêche pas les pères de continuer à utiliser ce congé sexué, qui est réservé aux pères par la lettre du Code du travail et que la Cour de cassation de ce fait refuse aux demandeurs qui ne sont pas le père (le demandeur ne pouvant justifier de la qualité juridique de père n'a pas droit au congé, ainsi jugé pour un couple de femmes dont l'une venait d'être mère). A l'occasion d'une des décisions sur ce sujet, la Cour de cassation a rappelé que le juge fait du droit et non de la morale : en l'état des textes, le congé est réservé au père et il revient au législateur de modifier les textes s'il souhaite en faire bénéficier le conjoint de la mère en toutes circonstances et sans que la filiation ne soit établie. Le législateur n'ayant pas, contrairement à l'Espagne, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark, la Norvège ou la Suède, validé l'adoption par un couple de même sexe, on doute qu'il trouve le temps dans son agenda de placer un projet de loi sur l'extension du congé paternité à tous les conjoints, pacsés ou concubins. D'autant que le dernier rejet d'une proposition de loi sur l'adoption par les couples du même sexe par le Sénat date du 25 mars dernier. Seuls les pères pourront donc utiliser le congé et éventuellement pendant celui-ci se voir donner congé.

08/06/2010

Champagne !

Les soirées étaient peut être ennuyeuses. La répétition n'a pas été vécue dans le plaisir. Ou bien les cocktails dinatoires ont-ils désavantageusement arrondis la silouhette du salarié. Il est vrai que manger debout n'est pas conseillé et que les appétizers rivalisaient de sauce et ce crème. On ne sait d'où vint le mécontentement du visiteur médical qui consacrait ses soirées à des réunions scientifiques organisées sous forme de cocktails mondains et professionnels. Toujours est-il qu'il réclama des heures supplémentaires pour le temps passé à dévorer petits fours et tenir conversation. L'employeur refusa au motif que le salarié était libre de ses mouvements, sans que l'on sache au juste quelle ampleur il accordait au mouvement. Sans surprise la Cour de cassation a donné raison au salarié : le cocktail était une obligation professionnelle, il devait entrer dans le calcul du temps de travail (Cass. soc., 19 mai 2010).

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Max Ernst - Cocktail Drinker - 1945

Le critère du temps de travail n'est pas à titre principal la liberté de mouvement. Il réside dans la prescription, ou non, de l'activité. Le salarié qui déjeune, ou dîne, avec les clients, ne travaille que si le déjeuner est une obligation imposée par l'entreprise. Pas s'il répond de lui même à une invitation du client, et pas même s'il invite librement le client, l'entreprise remboursant les frais de repas. La prise en charge des frais professionnels est en effet d'une nature différente de la mise à la charge du salarié d'une obligation professionnelle. Ce critère peut être appliqué aux activités ludiques organisées par l'entreprise (repas de fin d'année, fêtes, sorties, etc.). Soit l'activité est obligatoire et il s'agit de travail qui doit être compté et rémunéré, soit il s'agit d'une activité facultative mais alors elle entre dans le champ des activités culturelles et sociales et le comité d'entreprise peut en revendiquer le budget. Dans tous les cas, champagne !

 

03/06/2010

Pas perdus

A ceux qui estiment que l'Europe ce n'est que libéralisation, concurrence et marché, la Cour de Justice des Communautés Européennes apporte régulièrement des démentis aussi cinglants qu'inaperçus...dans un premier temps. La Cour poursuit son oeuvre de protection des droits des salariés, notamment en matière de congés payés. Après avoir affirmé que le congé maternité ne pouvait faire perdre des congés payés acquis qui n'auraient pu être soldés pendant la période de prise des congés, la CJCE a adopté le même principe en cas d'arrêt maladie, ces deux solutions ayant été reprises par la Cour de Cassation. La CJCE revient à la charge en adoptant la même solution pour un congé parental (CJCE, 22 avril 2010, aff. C 486/08). Lorsque les congés payés acquis avant le congé parental n'ont pu être soldés, ils doivent être reportés à l'issue du congé. Le principe du pas pris perdu prend une troisième volée de plomb dans l'aile. Pas pris, pas perdus !

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Emilio Lopez-Menchero - Salle des pas perdus - 1996

La pratique en vigueur, en France, était de solder les congés payés avant de prendre un congé parental. Dorénavant cela ne sera plus nécessaire. La prise d'un congé maternité suivi d'un congé parental n'entraînera plus la perte des congés payés qui seront reportés au-delà des deux congés. Et pour les hommes qui prennent des congés parentaux, dont on rappelle qu'il est mixte seuls les congés maternité et paternité étant sexués, la même règle conduira à pouvoir prendre un congé parental de septembre à septembre, par exemple, en retrouvant son droit à congés payés non pris lors du retour dans l'entreprise. S'être occupé de son enfant, cela vaut bien quelques congés.

26/05/2010

Dans le champ

Le droit n'est jamais qu'un manière d' organiser les rapports de pouvoir. Ce blog a plusieurs fois rendu compte des pugilats qui opposent l'Etat aux partenaires sociaux dans l'exercice de leurs fonctions respectives de représentation d'intérêts généraux légitimes et, normalement, non concurrents. La Cour de cassation a ouvert depuis plusieurs mois un nouveau front entre le juge et les partenaires sociaux. En jugeant le 1er juillet 2009 que les conventions collectives ne pouvaient faire de distinction entre cadres et non cadres sans le justifier par une différence objective autre que le statut, la Cour de cassation a mis a mal l'équilibre construit par des années de négociation. Par une décision du 19 mai 2010 elle enfonce un autre coin dans l'autonomie de la négociation collective en affirmant qu'une convention collective ne peut exclure de son champ d'application des organismes qui exercent les activités en relevant. En d'autres termes, si vous êtes dans le champ d'une convention collective, les partenaires sociaux ne peuvent, même volontairement, vous envoyer dans le champ du voisin.

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Les nuages, eux, vont à travers champs

Dans cette affaire, était en cause la convention collective nationale (CCN) des services de santé au travail qui prévoit son application à tous les services de santé sauf ceux qui appliquent une convention professionnelle, celle notamment de leur branche de rattachement. Des médecins ont contesté l'application de la CCN du Bâtiment à leur service de santé. Et ont donc obtenu gain de cause : il n'appartient pas à une convention d'écarter de son champ d'application des organismes qui exercent de manière principale, ici exclusive, les activités qui entrent dans ce champ d'application. Cette décision fragilise le statut collectif de tous les organismes professionnels qui appliquent une convention en fonction de leur proximité sectorielle et non de l'activité réelle exercée. Ainsi, les organismes de formation professionnels qui appliquent la CCN de leur secteur d'intervention et non la CCN des organismes de formation se trouvent plongés dans l'illégalité si leur activité principale est bien la formation. La clause d'exclusion de la CCN des organismes de formation se trouve en effet invalidée par la décision du 19 mai 2010. Que chacun regagne son champ donc, et retrouve son calme en contemplant les nuages gambader à travers champs.

13/04/2010

Halte au bluff !

La prolifération de l'information s'accompagne du risque de la perte de qualité des messages transmis. Deux exemples en ce début de semaine. Sur France-Info une interview de Christina Gieser sur le DIF. Rappel du cadre légal qui nous présente un DIF très formel puis les infos chocs : l'employeur ne peut refuser le DIF que deux fois, la portabilité permet au salarié de transférer ses heures chez un ancien employeur, en cas de licenciement le droit est perdu s'il y a faute grave. Soit trois erreurs sur la nature du DIF, de la portabilité et de la loi du 24 novembre 2009.

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Alain Garrigues - Grain à moudre sur incohérences diverses - 2001

Dans un autre domaine, Isabelle Raoul-Duval, avocate, nous explique pourquoi la transaction est préférable à la rupture conventionnelle . Son article paru dans les Cahiers du DRH du mois d'avril 2010 nous fournit cinq raisons :  une plus grande sécurité juridique, l’exhaustivité, de la transaction, la discrétion, l’opposabilité immédiate, l’homologation judiciaire. Sur le premier argument, constatons simplement qu'il y a peu de contentieux sur les ruptures conventionnelles...et beaucoup sur les transactions qui veulent éviter le contentieux. Sur l'exhaustivité, l'argument est stupéfiant : l'imprimé CERFA de rupture conventionnelle ne laisserait pas la place de traiter toutes les questions. Notre avocate n'a pas imaginé que pourrait être établie une convention de rupture et que le CERFA n'était qu'un formulaire administratif aux fins d'homologation. Sur la discrétion, dans les deux cas il s'agit d'un contrat bilatéral sans publicité. Sur l'opposabilité immédiate et l'homologation judiciaire il suffit de faire une convention en respectant les délais et elle devient quasi-inattaquable. Mais là est peut être le problème : un formalisme simple et à la portée des parties, peu ou pas de contentieux, bref si la transaction est meilleure c'est sans nul doute pour les avocats. Pour les parties concernées, et non intéressées, on continuera à conseiller la rupture conventionnelle de préférence à la transaction.
Et plus que jamais, prenez la peine de vérifiez les informations, y compris celles qui vous sont livrées sur ce blog.


Ci-dessus l'interview sur le DIF diffusé par France-Info et le commentaire d'Alain Garrigues :
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Alain Garrigue - Divine Rigolade - 2009

09/04/2010

Révolution manquée

L'occasion était belle de rompre avec la logique des statuts et le corporatisme du diplôme. Deux affaires étaient proposées à la Cour de cassation en ce mois de mars printanier : dans la première affaire, un salarié revendiquait le même salaire qu'un salarié plus diplômé et de ce fait mieux rémunéré alors qu'ils effectuaient le même travail ; dans la seconde un ingénieur demandait un salaire équivalent à celui d'un autre ingénieur ayant un diplôme de même niveau. Par deux fois, les juges diplômés de la Cour de cassation ont été incapables de sortir de leurs repères et d'offrir une véritable portée au principe "A travail égal, salaire égal". Pour la révolution, on attendra.

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Max Ernst -Pieta ou la Révolution la nuit - 1923

Dans la première décision, datée du 17 mars 2010, la Cour de cassation pose en principe que des diplômes de niveaux différents justifient un écart de salaire lorsqu'ils sont utiles à la fonction même si l'activité des salariés est identique. Au principe "Travail égal, salaire égal", la Cour substitue donc le principe "A diplôme différent, salaire différent". Dans la deuxième décision, du 24 mars 2010, la Cour estime justifiée la différence de traitement entre deux ingénieurs car l'un a un diplôme dont la partie théorique est plus en rapport avec les activités exercées dans l'entreprise. Dans les deux cas, on aurait aimé que la Cour de cassation impose à l'entreprise de montrer en quoi un diplôme différent conduit à un travail différent soit dans la nature des tâches réalisées, soit dans les résultats obtenus ou encore dans les modalités de réalisation des activités. Mais la logique de statut prévaut au mépris de la lettre des textes et me rappelle qu'un étudiant en Master RH avait démontré que dans une grande entreprise technologique, la différence de salaire à l'embauche en fonction de l'école suivie par les ingénieurs mettait sept ans à se combler même si l'ingénieur le moins bien diplômé était le plus performant tous les ans.
Par ces décisions, les juges apportent leur pierre aux situations de rente et par-là même confortent la course aux diplômes et le handicap de ceux qui n'en ont guère, ou moins, sans leur laisser la chance de la preuve par l'action. Evaluer le travail et lui seul est une révolution au dessus des forces d'une magistrature dont le travail s'il est ici commenté n'est ailleurs nullement évalué.

08/04/2010

Contorsions

Lorsque Picasso dessine un acrobate, contortionniste à ses heures, il ouvre des espaces infinis au corps, au mouvement,  au regard, à la conscience et à la sensation. Tout cela en une seule peinture ? et oui. Puissance de Picasso dont la phénoménale énergie a su se mettre au service de la liberté.

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Picasso - L'Acrobate - 1930

Lorsque l'administration décide de faire des contorsions, légèreté et poésie disparaissent pour laisser place à la stupéfaction, voire l'agacement. La loi du 25 juin 2008 a créé la rupture conventionnelle. L'article L. 1233-3 du Code du travail précise expressément que les dispositions relatives au licenciement pour motif économique ne sont pas applicables à la rupture conventionnelle. Or, dans une Instruction datée du 23 mars 2010, la Direction Générale du Travail (DGT) indique que lorsque le nombre de ruptures conventionnelles franchit les seuils applicables en matière de licenciement économique (soit plus de 10 ruptures sur 30 jours ou sur trois mois ou plus de 18 ruptures sur 12 mois), il faut considérer qu'il y a là indice de contournement de la loi. Bref, il faut appliquer les règles du licenciement économique pour motif collectif que la loi écarte pourtant expressément. Ce n'est plus du Picasso, mais du Pollock : c'est bien joli mais on perd un peu le fil et le sens.
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Jackson Pollock

Ne jouons pas au naïf : la volonté de la DGT est de limiter, en période de forte montée du chômage, que des ruptures conventionnelles ne soient négociées en lieu et place de Plans de Sauvegarde de l'Emploi (PSE). Mais c'est précisément ce que la loi du 25 juin 2008 autorise ! L'agacement en l'occurence n'est pas lié à la finalité de l'instruction mais plutôt au fait qu'une fois de plus une circulaire vient indiquer le contraire de ce que la loi prévoit, soit parce que l'intention a changé avec la conjoncture soit parce que la loi était de mauvaise qualité, et sans doute un peu des deux. Cette régulière valse hésitation entre le travail du législateur et cellui de l'exécutif qui repasse derrière pour dire s'il convient ou pas d'appliquer la loi, met tout simplement à mal d'une part la sécurité juridique mais également, ce qui est plus grave, l'autorité même de la loi. On ne connaît pas plus mauvaise pédagogie à propos du rapport à la règle. Au fait, Pollock,  quel sens ?

InstructionDGTRuptureConventionnelle.pdf